La légende de la compile mystérieuse
Il était une fois un garçon nommé Dirty. Par une journée fort ensoleillée, il décida de prendre son automobile et d’aller se balader. Il entra dans la voiture et mit le contact.
« Vroum ! fit l’automobile.
— Get your motor running ! Head out on the highway ! fit l’autoradio.
— Tiens ⁈ se dit Dirty en fixant l’autoradio, je ne me souviens pas d’avoir
jamais fait de cassette où figurait ce titre parfait pour la route, Born To Be
Wild, par… par… ah oui, Steppenwolf ! Attendons la prochaine chanson,
peut-être cela réveillera-t-il mieux mes souvenirs. »
La deuxième chanson vint à son tour. C’était Stray Cat Blues, des Rolling Stones. « But it’s no hanging matter, it’s no capital crime! » hurla Mick Jagger dans les baffles de l’automobile. Puis s’ensuit le troisième titre, (I Can’t Get No) Satisfaction, par Otis Redding.
« Ah ah ! Quelle audace ! Une reprise des Rolling Stones après un titre des Rolling Stones : voilà qui ne manque pas de panache ! Je ne me souviens décidément pas d’avoir fait cette cassette, c’est certainement quelqu’un de mon entourage qui l’aura réalisée… Mais sapristi ! Qui donc ⁈ »
Alors, Dirty écouta la suite de la cassette. Il se dit que la personne qui l’avait réalisée était un sacré garnement, un vieux brigand, qui s’amusait à faire défiler les plus grandes figures de la musique tout en prenant le soin maniaque de ne jamais choisir l’un des tubes majeurs du groupe, leur préférant des titres plus méconnus mais tout aussi délicieux. Ainsi le Jefferson Airplane jouait White Rabbit et pas Somebody To Love, The Clash jouait Lost In The Supermarket et pas Should I Stay Or Should I Go et les Ramones jouaient Rockaway Beach et pas Blitzkrieg Bop.
Bien sûr, il y avait des tâches d’ombre sur cette compile. Le titre Brazil de Geoff Muldaur et Michael Kamen, One de Three Dog Night et le pire crime d’entre tous : un titre de reggae. Inséré par traîtrise derrière le morceau du Clash, l’esprit vil qui avait fait la cassette espérait le faire passer discrétos par une porte dérobée. Mais non, Dirty le remarqua bel et bien, et s’interrogea : « You can fool some people sometimes but you can’t fool all the people all the time » s’époumonait Bob Marley depuis le poste. Etait-ce une référence maladroite à Emile, de La Cité de La Peur ? C’était malheureux et non, décidément, quelque chose n’allait pas.
Puis, Dirty pensa : « Qu’entends-je ? Mais oui c’est bien cela : ce sont les premières notes d’Andrea C’est Toi de ce regretté Boby Lapointe. Montons le son, nous allons nous en taper une bien franche ! » Cette fois, c’était certain, cette cassette était vraiment l’œuvre d’un vrai puant au goût le plus exquis ! Le reggae était effacé. Dirty le savait : il devait mener une quête pour retrouver l’identité de l’esprit génial auteur de cette cassette.
Il interrogea son frère, sa sœur, ses parents, ses amis Joe, Jo et Ju. Rien n’y fit. L’auteur mystérieux conservait son anonymat. Découragé, il alla rendre visite au grand sage JR qui était toujours de bon conseil. Timidement, Dirty s’approcha de lui et lui demanda :
« Grand maître, j’ai ici une cassette fabuleuse, une Sony UX 90. Je crois que
cette compilation est peut-être parfaite et j’aimerais avoir votre opinion
là-dessus.
— Eh bien, dis-moi donc ce qu’il y a sur cette cassette.
— Voilà, il y a beaucoup d’interprètes majeurs des dernières décennies et
beaucoup de genres sont abordés : rock, chanson, blues, reggae, …
— REGGAE ⁈ interrompit-il Dirty. Alors cette compile n’est pas parfaite !
— Mais, grand maître, il ne s’agit que d’un tit…
— CETTE COMPILE N’EST PAS PARFAITE !, conclut-il avant de ruminer, mettre des
titres de reggae sur des compiles, c’est bien un truc de pêche-arrière ça ! »
Malgré l’avis du grand maître, Dirty continua sa quête, il voulait retrouver le mystérieux inconnu, pour lui dire que même s’il aimait le reggae, il le pardonnait et voulait lui faire part de son admiration. Il poursuivit ses efforts des jours, des semaines et des mois. En vain.
Lorsqu’un beau jour, il alla chercher son ami Groovy, toujours en écoutant cette cassette qui l’obsédait tant. Lorsque Groovy l’entendit, il dit à Dirty :
« Et mais c’est ma cassette !
— Ta cassette ? Mais comment se fait-il qu’elle soit dans ma voiture ?
— Ben si tu sais, c’est quand on était allé au festival de Bourges en 2004 et
que…
— Tu as délibérément introduit du reggae dans ma voiture ?
— Ben oui mais…
— DU REGGAE ! »
La conversation s’interrompit brusquement et plus un mot ne fut échangé pendant le reste du trajet.
La morale de cette histoire est que, dans une compilation, il faut veiller à ce que la moyenne du niveau des morceaux soit élevée, c’est évident et ça suffit à se faire aimer des gens qu’on ne connaît pas. Mais quand on la fait écouter à des amis, il faut aussi veiller à l’écart-type !
C’est important l’écart-type !
ps : But it’s no hanging matter, it’s no capital crime ! : mettre du reggae sur une compile ? Si un peu quand même si !
ps : une version altérée de la compile (où certains titres indisponibles sont remplacés par des versions karaoke) est disponible sur Spotify :